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Les mesures annoncées sur le harcèlement scolaire ne suffiront pas

  • Dylan
  • 23 mars 2015
  • 7 min de lecture

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Les professeurs ont besoin de formation. Et c'est le vide sidéral, les laissant tout à fait démunis. Mais le problème du harcèlement scolaire interroge le rôle même des professeurs.

On le sait, les chiffres sont accablants. Près de 9% des élèves subissent du harcèlement scolaire, selon les chiffres de l’Education nationale. Cela représente 700.600 enfants, entre le CE2 et le lycée, qui subissent des «agressions physiques ou verbales de manière répétée». Parmi eux, 383.800, soit plus de la moitié des cas, seraient harcelés de manière«sévère», les exposant à des tentatives de suicides (ils ont quatre fois plus de risque d’en faire que leurs camarades) et à un absentéisme chronique (un à deux absentéistes chroniques sur 5 le seraient à cause de harcèlement scolaire).

Pour répondre à ce fléau, la ministre de l’Education nationale a proposé de nouvelles mesures, notamment un renforcement de la formation pour les personnels du premier degré, via la plateforme interactive M@gistère, le passage à quatre chiffres du numéro vert dédié (le 0808 807 010), l’organisation d'une journée de mobilisation avec les médias et une carte interactive pour les parents leur permettant de connaître les ressources locales. Mais ces mesures sont-elles suffisantes? Ne faudrait-il pas mieux former enseignants, conseillers d’éducation et surveillants à mieux détecter le harcèlement notamment au collège, où il est le plus élevé?

«Ce n’était clairement pas prioritaire»

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Bernard mentionne dans son collège un système de boîte aux lettres anonyme mis en place par les conseillers principaux d'éducation. Les élèves peuvent y déposer des messages sans être identifiés forcément tout de suite, ou en tous cas de façon plus discrète, pour éviter que les harceleurs ne s’en rendent compte…

Les témoignages recueillis par Slate laissent penser que beaucoup de professeurs se sentent démunis face à ce phénomène. Et tout d’abord, parce qu’il n’existe aucune formation spécifique au harcèlement scolaire dans leur parcours, que ce soit en formation initiale ou continue. «J’ai été formé à l’encadrement, pas au harcèlement», précise Bernard[*], enseignant en arts plastiques dans un collège de Seine-Saint-Denis depuis 7 ans. «On en a parlé pendant les formations. Mais c’est arrivé comme ça dans la discussion, ils n’avaient prévu aucun conseil sur le sujet. Ce n’était clairement pas prioritaire», juge quant à elle Marie, enseignante au collège à Sarcelles, et qui a passé le concours en 2013.

Pas plus de formation spécifique pour les jeunes pousses de l’enseignement, qui débutent leur première année:

«Je n’ai rien eu sur le sujet. Et je ne saurais pas du tout quoi faire si j'identifiais quelque chose, à part en parler autour de moi pour prendre conseil», affirme Cécile Fernandez, en année de stage dans un lycée du 93.

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Si les cinq enseignants que nous avons interrogés se sentent démunis, c’est d’abord parce qu’il est difficile de repérer un élève harcelé, qui souvent va essayer de cacher ce harcèlement. «Les élèves ont honte d’être victimes, si un prof se pose des questions, ils vont essayer de se faire tout petit», raconte Romain, professeur de philosophie dans un lycée de Seine-et-Marne. «Ce sont généralement des élèves discrets. Ceux qui harcèlent vont choisir des élèves calmes et timides qui n’oseront pas forcément le dire», explique Marie.

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Aux États-Unis, c’est l’initiative du «banc de l’amitié” qui a plu à Marie. Sur ce banc, décoré et colorié par un jeune garçon de 8 ans, Christian Bucks, les enfants qui se sentent seuls ou rejetés peuvent venir trouver aide et écoute de la part d’autres camarades.

Elle raconte avoir vu un élève «craquer» en plein cours, l’année dernière. Un événement auquel elle ne «s’attendait pas». L’enfant s’est mis à pleurer, sans qu’aucun signe selon elle ne lui ait permis auparavant de s’en rendre compte. «Il a dit qu’il en avait marre qu’on lui dise qu’il était petit pour son âge, il est parti de la classe, en claquant la porte», se souvient-elle. «On apprend à ne pas négliger les bons élèves qui sont dans un coin et n'embêtent personne. Il faut vraiment avoir un oeil partout, observer et être prêt à écouter», confie Marie, qui dit avoir compris cela «sur le tas».

«Un élève qui répète "ta gueule" plusieurs fois, est-ce du harcèlement?»

S’il est difficile de repérer un élève harcelé, c’est aussi parce que l’ambiance des classes est souvent faite de moqueries un peu piquantes dont il peut être difficile de dire si il s’agit de harcèlement ou de blagues de «bon camarade», comme le relève Marie. «Les vannes c’est permanent. Un élève qui répète ‘ta gueule’ plusieurs fois, est-ce du harcèlement?», se demande Mickael Gamrasani, enseignant d’histoire et géographie à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), dans un collège classé «REP» (Réseaux d’éducation prioritaire) et en «zone de prévention violence».

Il raconte une anecdote pour permettre de mieux se rendre compte de cette frontière un peu floue:

«Un jour un élève a dit devant toute la classe "hé monsieur, il me dit que je viens du Mali et qu’on grimpe aux arbres au Mali". Mais l’élève a dit cela sur le ton de l’humour, on pouvait avoir l’impression qu’il cherchait à faire rire. Était-il victime de racisme ou harcelé parce qu’il venait du Mali?. Des doutes, on en a tous les jours. Le harcèlement est une notion très complexe, liée à l’intersubjectivité. J’aimerais bien qu’on me dise si, dans ce cas, il s’agit de harcèlement».

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Mickael Gamrasani suggère de sensibiliser aussi les écoliers, en ajoutant par exemple des séances sur le harcèlement scolaire au programme d'éducation civique. Il mentionne aussi l’existence de personnels dans son établissement, qui comme les surveillants sont plus proches des élèves mais sont quant à eux spécifiquement formés à la question du harcèlement scolaire. Ces médiateurs (ou «assistants de prévention et de sécurité») sont mobilisables dès lors qu’il y a un conflit entre élèves. Un système qu’il faudrait selon lui «généraliser».

Autre problème pour déceler le harcèlement, la compartimentation de la journée d’un élève. Au cours de ses 25 à 30 heures de cours hebdomadaires, un élève de collège verra 8 ou 10 professeurs différents, parfois pour seulement une heure par semaine. Il a donc de l’élève une vision«morcelée», ce qui fait dire à Mickael Gamrasani que «la situation de classe ne se prête pas à la vision du harcèlement.»

Redéfinir le rôle des professeurs

A l’origine de ce débat sur le rôle des profs, on trouve le statut des enseignants du secondaire. Ce statut a été réformé en 2013 par Vincent Peillon et englobe désormais d’autres missions que le pur enseignement. Il devrait entrer en vigueur à la rentrée 2015. Mais malgré ce changement notable, il reste un certain état d’esprit, toujours très prégnant dans la profession, qui considère que son travail est celui d’enseigner une matière, et non de veiller aux problèmes«annexes», comme le fait remarquer Romain.

Le professeur est-il d’ailleurs le mieux placé dans l’établissement pour gérer de telles situations? Pour cet enseignant d’histoire-géographie, la réponse est non: «Ce n’est pas notre vocation de traîner dans les couloirs. C’est celle du CPE et des surveillants», qui sont selon lui «plus au fait de ces problèmes» et «plus proches d’eux»… Les surveillants notamment, qui sont souvent des étudiants et sont plus proches en âge des élèves, «doivent être en première ligne», selon Romain Fontaine.

Le seuil de 24 élèves par classe est toujours dépassé. Or pour les questions de harcèlement il faut passer du temps avec eux.

A cela se greffe, fait remarquer Bernard, un problème «d’encadrement»: «Ici, nous ressentons directement la politique d’austérité. On était censé être moins d’élèves par classe. Mais en réalité le seuil de 24 élèves par classe est toujours dépassé en Seine-Saint-Denis. Or pour les questions de harcèlement il faut passer du temps avec eux et établir une relation de confiance».

Romain Fontaine note quant à lui l’absence de «relais» sur ces questions: «Le proviseur ne peut s’en occuper que pour les cas les plus graves. Et pour les autres, on ne sait pas bien à qui faire suivre».

Difficile aussi de faire remonter l’information au sommet quand la personne qui prend note de ces informations est aussi celle qui vous évalue: «Il y a une véritable loi du silence, qui reproduit la loi du silence entre élèves. Si jamais un collègue a du mal à gérer sa classe il a plutôt intérêt à se taire. Car le proviseur risque de ne pas lui augmenter sa note administrative plutôt que de l’aider. C’est la raison pour laquelle on a tendance à se débrouiller seul ou a aller voir des collègues en qui on a confiance», commente Romain Fontaine.

«On attend qu’il y ait un drame pour faire quelque chose»

Un manque de relais et de référent, et aussi une organisation très «verticale», où le travail en équipe se résume pour l’instant à des projets pédagogiques, mais peu ou pas d’échanges organisés spécifiquement entre professeurs sur la «vie scolaire». «Quand il y a un élève harcelé, les collègues professeurs ne passent pas toujours l’information. Mais ce n’est pas tellement de leur faute, car nous n’avons aucune plage de concertation prévue ensemble en dehors des conseils de classe, déjà bien chargés», ajoute Romain Fontaine.

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A défaut d’un médiateur dédié, ou de pouvoir créer un poste, Romain suggère qu’il y ait un surveillant référent dans chaque établissement. Et surtout, de sensibiliser les professeurs et personnels lors de la pré-rentrée, en les incitant à faire remonter toute information sur le sujet. «C’est le seul moment de l’année où tout le monde est réuni. Il pourrait y avoir quelques mots de la part du chef d’établissement à ce moment-là».

Certains professeurs regrettent que leur hiérarchie ne s’engage pas plus dans la lutte contre ce fléau, et dénoncent l’inaction des établissements. «Il n’y a pas aucune consigne général de la part de notre hiérarchie de faire remonter ces infos-là. On est plutôt incités à ne pas faire de vagues», commente Romain Fontaine. «On attend qu’il y ait un drame, que cela aille très loin pour faire quelque chose ou avoir une formation», déplore Bernard. «Les annonces de Najat Vallaud Belkacem arrivent un peu tard», pointe Marie.

Agir, donc, mais comment? Faut-il proposer, voire rendre obligatoire, des formations? Oui, répondent la plupart des profs que nous avons interrogés, mais pas n’importe lesquelles.«J’ai de gros doutes sur l’utilité de certaines formations. Les formations trans-disciplinaires sont souvent mauvaises», indique Mickael Gamrasani. Idem pour Cécile Fernandez: «Jusque là je n’ai rien vu de convaincant. J’ai un peu peur de voir des gens qui meublent les heures», craint-elle.

Faire plus, mais faire bien: voilà ce qu’attendent les professeurs.

* — Tous les noms ont été changés, à la demande des enseignants concernés, sauf celui de Mickael Gamrasani Retourner à l'article

Aude Lorriaux

SOURCE : Slate.fr


 
 
 

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